L'affaire Centre Jacques-Berque : Les chercheurs sortent de leur devoir de réserve

Subject: L'affaire Centre Jacques-Berque : Les chercheurs sortent de leur devoir de réserve
From: Signataires
Date: 14 Sep 2017

Toute personne raisonnable hésite avant de dénoncer des dysfonctionnements, surtout lorsque ceux qui devraient le faire en premier semblent s’obstiner à les ignorer. On craint d’être pris à partie, déconsidéré, accusé d’agir sous l’effet d’une lubie ou d’une acrimonie personnelle. Toutefois, l’obstination des parties prenantes à ne pas agir et à faire comme si rien ne se passait suscite une sorte de révolte, le besoin d’énoncer publiquement et clairement que « ça ne va pas ». C’est ce qui se passe actuellement à propos du Centre Jacques-Berque, unité de recherche du ministère français des Affaires étrangères et du CNRS, implantée à Rabat. Une pétition circule, dont certains termes sont excessifs, notamment en ce qui concerne le racisme, le néocolonialisme et le révisionnisme. Elle exprime toutefois un sentiment d’exaspération auquel la politique scientifique et humaine de la direction actuelle a malheureusement conduit directement.

Durant les cinq années de la précédente direction, nous avons étroitement collaboré avec le Centre. Celui-ci était solidement implanté dans la communauté marocaine des sciences sociales et humaines, il attirait les jeunes chercheurs et les doctorants, développait des programmes, organisait des colloques et des séminaires. Il avait mis en place deux collections actives de working papers et publiait entre deux et trois livres par an. Tous ceux qui s’y rendaient étaient traités avec intérêt et considération, l’atmosphère de travail était agréable et productive. Nous pouvons en témoigner ainsi que la plupart de nos collègues qui ont été amenés à fréquenter le Centre.

Aujourd’hui, force est de constater que la situation est proprement catastrophique. D'un point de vue scientifique, le Centre Jacques-Berque est retombé en jachère. L’actuelle directrice a peu à peu découragé, par sa conduite et ses rebuffades, la majorité des chercheurs et des doctorants qui le fréquentaient naguère. Ses collections de working papers sont à l'arrêt et ses publications, après avoir épuisé la programmation précédente, sont quasiment au point mort. Son programme sur les politiques sociales –d’une si grande actualité dans le Maroc actuel– a été abandonné de fait et la seule chercheuse en affectation qui y travaillait encore s’est retrouvée marginalisée. Son site web est souvent vide derrière des intitulés et des annonces qui concernent bien moins le Centre que les institutions extérieures. La plupart des chercheurs, enfin, ne participent à aucune dynamique collective et mènent, faute de mieux, leurs travaux de manière disparate.

Cependant, c'est du point de vue des ressources humaines et de l'administration que les choses ont pris un tour proprement dramatique. Depuis sa prise de fonction, la directrice a insufflé une atmosphère de stress qui a affecté tous les personnels non scientifiques, à l'exception d'une seule personne. Le résultat est aujourd'hui le suivant : démission de la secrétaire de direction ; hospitalisation de la secrétaire générale, en état de choc après avoir été prise à partie par la directrice ; arrêt maladie de l'informaticien ; éviction des anciens gardiens du Centre, poussés à bout par de multiples vexations ; hospitalisation récente du chauffeur soumis à une charge de travail bien supérieure à ce que requiert son poste de travail et lui-même victime de multiples vexations.

Il ne s’agit pas de racontars. Toute personne en contact avec le Centre Jacques-Berque le sait plus ou moins. Les tutelles ont été informées, un audit a été diligenté, mais rien n’en est ressorti. Il semble que le silence ait été préféré. Pourtant – au-delà du marasme scientifique d’une institution de coopération – des individus souffrent. Au Maroc comme en France, il existe un droit du travail et une dose incompressible de bon sens concernant les relations au sein d’une entreprise ou d’une administration : quand presque tout le monde y est mal et se sent blessé, c’est qu’il y a un problème de direction. Il ne nous appartient bien sûr pas dire lequel. En revanche, nous pensons qu’il est de notre responsabilité morale – parce que nous avons bénéficié, comme beaucoup de chercheurs marocains et étrangers, du Centre Jacques-Berque – de dire publiquement ce que chacun sait plus ou moins, qu’il ne va pas bien et que ceux qui y travaillent en sont profondément affectés.

Aziz Hlaoua, Enseignant-chercheur, IURS, Université Mohammed V (ancien doctorant associé au CJB).

Beatriz Mesa, Doctorante, Université Grenoble-Alpes (ancienne doctorante associée au CJB).

Driss Ghazouani, Doctorant, Université Mohammed V.

Fatiha Daoudi, juriste, docteure en sciences politiques, IEP de Grenoble (ancienne doctorante associée au CJB).

François Ireton, Ingénieur d’étude (en retraite), CNRS (ancien chercheur au CJB).

Hasna Hussein, Postdoctorante, Université de Toulouse 2 Jean Jaurès (ancienne doctorante associée au CJB).

Hiba El Khamal, Ex-assistante de recherche, CJB.

Josiane Tantchou, Chargée de recherche, CNRS (chercheure au CJB de 2014 à 2017).

Khalid Yamani, Chercheur, Université Mohammed V.

Khadija Houari, Enseignante, Université Mohammed V.

Mariam Benalioua, Ex-assistante de recherche, CJB.

Marouane Laouina, Doctorant, Université Grenoble-Alpes (ancien doctorant associé au CJB).

Mehdi Alioua, Enseignant-chercheur, Université Internationale de Rabat (ancien chercheur associé au CJB).

Mehdi Benslimane, Chercheur, Université Hassan II (ancien doctorant associé au CJB).

Reda Benkirane, Chercheur, Institut des hautes études internationales et du Developpement de Genève (chercheur associé au CJB).

Saadia Radi, Chercheure associée au LEPOSHS, Université Internationale de Rabat (ancienne chercheure au CJB).

Said Alahyane, Chercheur, Université Cadi Ayyad.

Said Raissi, Chercheur, Université Hassan II (ancien chercheur associé au CJB).

Sebastien Boussois, Chercheur associé, UQAM et ULB (ancien chercheur associé au CJB).

Yassine Ajana, Doctorant, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah.

Zoubir Chattou, Professeur d'enseignement supérieur, ENA, Meknès (ancien chercheur associé au CJB).

13/09/2017

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